Je vous invite à faire un sympathique retour en arrière, à l’époque où les tubes électroniques chauffaient fort, pas seulement dans les TSF et amplificateur BF comme les nostalgiques connaissent bien, mais aussi dans les récepteurs de télévision.
Le petit écran en était à ses débuts, et moi aussi. Tout commence en 1967, à Malo-Les-Bains (Dunkerque) quand mon frère aîné me ramena un « vieux » poste de télé, destiné à être démonté pour la récupération des pièces. Plutôt que de le disséquer et le transformer en amplificateur Hi-Fi, je préférai lui donner une chance de survie.
Novice en la matière, et ce n’est pas au collège qu’on apprend à réparer les télés, je parvins pourtant à refaire balayer le spot sur le phosphore luminescent.
Téléviseur Philips TF2315A noir et blanc, modifié pour recevoir les chaînes de TV européennes, en 1969
Antennes installées à Malo-Les-Bains (Dunkerque) en 1969
Génial! Je recevais la première chaîne française ! Et en noir et blanc…
Peu après, je captais quelques émetteurs étrangers qui arrosaient la région. Le poste était prévu à l’origine uniquement en 819 lignes, et possédait un tuner VHF monocanal (Lille, 8A). Les émissions flamandes et britanniques étaient émises sur d’autres fréquences, et respectivement en 819 et 405 lignes.
La mise en place d’un rotacteur VHF et un gros bidouillage dans les bases de temps, fit de ce poste l’unique multistandard du quartier.
Restait maintenant à attaquer l’UHF si je voulais voir les speakerines de la deuxième chaîne française. A l’époque, on ne faisait guère mieux que des tuners UHF à deux tubes EC86 / EC88, avec un gros condensateur variable en guise de recherche d'une éventuelle station. La sensibilité était du style poste à galène. Il valait mieux installer les antennes très haut, et avoir des câbles très courts. Cette incompatibilité engendra la réquisition du grenier qui allait devenir désormais un véritable laboratoire de recherches où des dizaines de téléviseurs s’y accumuleront…
Un jour, j’étais de passage chez mon réparateur TV préféré, et il me donna un poste « moderne ». Un Philips TF2315A, grand écran de 49 cm de diagonale, à coins un peu moins ronds que les autres, mais surtout, avec un tuner UHF à transistors. Après le remplacement des tubes pompés dans la THT (PY88, PL136, DY86), le poste fonctionnait à merveille. Il y avait là-dedans trois pentodes EF184 d’amplification FI (fréquence intermédiaire), avant un ampli vidéo musclé EL183. Je ne vous dis pas les performances. En VHF, on pouvait recevoir à l’aise la chaîne belge francophone venant de Bruxelles, en 625 lignes. La bande UHF était bien plus riche en émetteurs que je ne le pensais. La BBC2, l’ITV (chaîne anglaise indépendante) et deux chaînes hollandaises m’y attendaient tranquillement. Seulement, ces images étaient instables, en négatif, et le son était nasillard. Après renseignements, j’appris qu’il s’agissait d’autres normes (I et BG). Il fallait inverser une diode à trouver quelque part dans le poste pour l’image, et construire un démodulateur FM pour le son. Après avoir inversé toutes les diodes du téléviseur, je parvins enfin à voir quelque chose de correct sur l’écran. Je recevais désormais une bonne dizaine de chaînes, toutes faciles à repérer, car à cette époque-là, il y avait très peu de programmes. Les monoscopes balayaient les trois quart du temps les fameuses mires, propres à chaque émetteur.
Un jour d’été, alors que je me connectais dans la bande I sur la fréquence de la chaîne belge flamande, je fus étonné de voir une mire que je ne connaissais pas. L’image était très perturbée, mais de temps en temps de très bonne qualité : il s’agissait de la télévision tchécoslovaque !
Cela n’a duré que cinq minutes, avant que je me prenne les pieds dans le fil de mon fer à souder et que je rate la marche des escaliers du grenier, en voulant relater l’évènement à tout le monde. Au moment où l’on se retrouvait tous coincés dans la porte, plus de Tchécoslovaquie. Rien que du brouillage, et des bips de radioamateur. J’avais l’air malin. Mais il suffisait d’attendre un peu, car devant nos yeux hagards, cette fois-ci la télévision polonaise apparut sur la même fréquence, puis les télés russes, suédoises, norvégiennes… Pas de quoi suivre un film, sauf avec un bon collyre, mais la surprise était totale. La semaine suivante, toute l’Europe avait défilé sur mon écran ! Les chaînes roumaines, espagnoles, portugaises, italiennes… En réalité, les ondes de la bande I, dont les fréquences sont relativement basses (40-60 MHz), peuvent se propager de manière sporadique selon l’existence aléatoire d’une couche troposphérique saisonnière.
Bien entendu, pas grand monde ne me croyait quand je disais que je ne captais pas moins que 250 émetteurs jusqu’à 2000 Km de distance. C’était soi-disant impossible, surtout depuis que la terre est ronde, et pourtant… Mais, vous, respectable lecteur, devez penser que c’est tout à fait banal. Non, il n’y avait pas de satellite pour relayer l’onde capricieuse. Pour réconcilier les incrédules, rien de tel que de belles photographies des mires et des génériques. Imparable.
Je m’intéressais également à la propagation très particulière de l’UHF, beaucoup moins aléatoire. Celle-ci est friande de hautes pressions atmosphériques et de brouillards denses, qui forment une sorte de guide d’onde, ou de loupe géante entre l’émetteur et le récepteur, pour peu que le soleil soit au rancart. La théorie UHF est complexe. Comme la perte du signal est proportionnelle au carré de la fréquence et à la longueur du câble, et que je n'ai jamais envisagé rehausser le grenier jusqu'au niveau de l'antenne, ni de mettre le téléviseur sur le toit, le téléviseur étant déjà au point culminant de la maison, l’idée était de placer le tuner carrément dans le dipôle et de descendre en fréquences moins vulnérables (32-39MHz). Manque de pot, les tuners à diodes varicap n’existaient pas. Balèze dans la bidouille, je mis au point un système de poulies, de ficelles, contrepoids et autre frein de vélo, pour mettre en rotation l'inaccessible condensateur variable à partir de mon fauteuil. Arrêtez de rigoler, car les résultats étaient sensationnels : la deuxième chaîne finlandaise en UHF, soit 1500 Km de distance. Magnifique.
Le premier poste TV en couleur que j'avais récupéré était aussi à tubes. Cinquante kilos d'électronique, avec 819/625 lignes (je ne vous décris pas les circuits de convergence), et PAL/Sécam à transistors. Résultats fabuleux pour les quelques chaînes UHF qui venaient de se coloriser. En tous cas, ce poste contribuait bien au chauffage du grenier l'hiver.
C’était vraiment une époque très sympa, où tout était compliqué et cher. Maintenant, c’est facile… et la parabole est gratuite.
Je vous laisse contempler les photos des mires et en apprécier la qualité.
François Frappé, Dunkerque.
francois.f@bbox.fr
Téléviseur Philips modifié (1977)
avec, au dessus, la télécommande du tuner UHF déporté dans l'antenne
Links:
- Pembers' Ponderings, by Alan Pemberton, England, fan of Test Cards and Caption of long-distance TV transmitters.
- Réception Hertzienne dans le Nord-Pas de Calais.
- A german DXer in the 70's
- TV ARK, The online television museum. The history of TV presentation and graphic design http://www.tv-ark.org.uk/
- Les bandes de réception Télévision et Standards Wikipedia
- Ken : a DXer in Scotland
- Benelux DX Club by Gösta van der Linden
- German Documentary "Testbild - Der Film" by Johannes Hofmeister